Fiscalité des successions : quand l'immobilisme coûte cher au contribuable

Article rédigé le lundi 1 septembre 2025.

Avec l’impôt sur le revenu, la fiscalité liée aux transmissions figure parmi les principaux prélèvements qui se veulent redistributifs.

Cette fiscalité cristallise en France un paradoxe singulier : alors que l’opinion publique appelle à une hausse de contribution des foyers les plus aisés, elle rejette par principe toute évolution du système, craignant systématiquement une hausse d’imposition. Entre méconnaissance générale des mécanismes fiscaux, gel prolongé des barèmes et multiplication des dispositifs ponctuels, les coûts liés à la transmission du patrimoine manquent de clarté.

L’Etat a tout à gagner à maintenir cet immobilisme. Et ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les contribuables qui ne sont pas conseillés et accompagnés.

 

 

1. Le malentendu fondamental : quand l’opinion redoute une réforme qu’elle réclame

 

L’anxiété collective face à la « réforme fiscale »

Les enquêtes d’opinion le confirment régulièrement : plus de ¾ des personnes interrogées appellent à une augmentation de la fiscalité pour les plus aisés. Dans le même temps une large majorité de Français souhaitent une baisse de la fiscalité sur les héritages — jusqu’à 87 % selon une enquête Crédoc citée par la Cour des comptes (2017). Cette aspiration coexiste avec une surestimation massive du poids réel de l’impôt : par exemple, 60 % des répondants évaluent le taux moyen effectif en ligne directe à ≥ 10 %.  22 % pensent que les transmissions entre conjoints sont taxées à 20–40 %, alors qu’elles sont exonérées depuis 2007.

 

La réalité statistique : une majorité de successions non imposées

Les chiffres officiels révèlent une situation bien différente des représentations collectives. En ligne directe (parents → enfants)seules 24 % des successions sont effectivement imposées (donc ~76 % ne le sont pas). 
Cette réalité s’explique par l’existence d’abattements qui protègent une grande majorité des transmissions familiales : 100 000 € par enfant et par parent, renouvelable.

En ne faisant qu’appliquer cet abattement, une famille composée de deux parents et de deux enfants peut théoriquement transmettre 400 000€ sans aucun droit de succession (200 000€ × 2 enfants). Si l’on y ajoute l’exonération totale du conjoint survivant couplée au mécanisme de démembrement de propriété, l’abattement sur la résidence principale, les seuils d’exonération atteignent des niveaux qui protègent l’immense majorité des foyers français. Et quelques mécanismes complémentaires bien employés permettent de fortement limiter les coûts de transmission.

 

 

2. Les conséquences coûteuses de treize années d’immobilisme

 

Le gel des barèmes depuis 2012 : une fiscalité rampante

La dernière réforme substantielle des droits de succession remonte à 2012. L’abattement en ligne directe a été abaissé de 159 325 € à 100 000 €, le délai de rappel fiscal porté de 10 à 15 ans (loi de finances rectificative 2012) etl’indexation automatique a été interrompue.

 

L’impact de l’inflation sur treize années

Cette stagnation des barèmes dans un contexte d’inflation cumulative génère une fiscalité rampante particulièrement pénalisante. A titre d’illustration, les prix des logements ont nettement augmenté sur longue période (indices Notaires-INSEE), tandis que les abattements sont restés figés — un décalage qui accroît mécaniquement la part taxable.

Calcul pratique : L’abattement de 100 000€ de 2012, actualisé à titre illustratif par l’inflation cumulée, aboutirait aujourd’hui à un niveau sensiblement plus élevé (estimation indicative, non officielle). L’idée à retenir : l’érosion monétaire augmente implicitement l’imposition supportée par les familles. 

Exemple chiffré : Madame Patrimoine hérite de 180 000€ de ses parents en 2025.

Situation actuelle :

  • Part taxable : 180 000€ – 100 000€ = 80 000€
  • Droits dus : 13 194€ (selon barème progressif)

Si l’abattement avait été revalorisé depuis 2012 (par exemple à raison de 1% par an) :

  • Part taxable : 180 000 – 113 800€ = 66 200€
  • Droits dus : 11 434€

 

Les outils d’optimisation devenus indispensables

Face à cette fiscalité rampante, le recours aux stratégies d’optimisation devient quasi obligatoire pour les familles patrimoniales.

Les donations du vivant
Le mécanisme d’abattement de 100 000€ tous les quinze ans incite fortement aux donations anticipées. Une stratégie qui doit être envisagée sur plusieurs générations. 

Le démembrement de propriété
Cette technique, consistant à séparer l’usufruit de la nue-propriété, permet d’optimiser fiscalement les transmissions. Au-delà de la seule question fiscale, ses impacts juridiques impliquent d’être accompagnés par des conseils. 

L’assurance vie
Avec ses règles fiscales spécifiques, l’assurance vie est devenue l’outil de transmission privilégié (attention toutefois à la différence de régime fiscal avant et après 70 ans). 

Ces mécanismes, techniquement efficaces, créent une fiscalité à plusieurs vitesses : optimisée pour les familles accompagnées, pénalisante pour les autres.

 

 

3. La stratégie de l’Etat : la réforme symbolique

 

Les mesures cosmétiques récentes

Plutôt que d’entreprendre une réforme structurelle comme appelée dans un rapport d’il y a 4 ans, la fiscalité des successions est parquée par une multiplication des dispositifs ponctuels et sectoriels. Cette approche présente l’avantage politique de générer de la communication positive tout en évitant les débats de fond.

Le plafonnement des frais bancaires
Mesure emblématique de cette stratégie : le plafonnement des frais prélevés par les banques lors de la clôture des comptes d’un défunt, désormais limité à 850 €, avec des cas de gratuité et une entrée en vigueur au 13 novembre 2025(loi du 13 mai 2025 + décret du 14 août 2025).

Les abattements très spécifiques
Les dernières années ont vu naître des dispositifs d’exonération ultra-ciblés : donations pour l’immobilier neuf, abattements pour certains types de travaux, exonérations sectorielles temporaires.

Ces mesures, techniquement intéressantes, illustrent parfaitement l’approche caractéristique de la fiscalité française contemporaine : privilégier systématiquement des avantages fiscaux ciblés et temporaires plutôt que d’entreprendre une réforme structurelle des barèmes généraux.

 

Une stratégie politique habile mais coûteuse

Cette multiplication de dispositifs spécifiques permet de concilier plusieurs objectifs politiques :

  • Communication gouvernementale : chaque nouveau dispositif génère des annonces qui atténuent un mécontentement
  • Contraintes budgétaires : les coûts restent maîtrisables car les publics visés sont souvent restreints

Mais cette stratégie génère des coûts cachés considérables :

Complexification juridique : la multiplication des régimes d’exception rend le droit fiscal successoral peu lisible. Il existe aussi une tentation de saisir l’aubaine que représente un dispositif ponctuel sans en avoir mesuré les conséquences juridiques à long terme.

Inégalités d’accès : seules les familles informées et accompagnées peuvent bénéficier de ces dispositifs techniques.

 

 

Conclusion : soyez proactifs et soyez entourés

Treize ans après la dernière réforme, la fiscalité des successions françaises ressemble à un patchwork de dispositifs accumulés, où l’exception tend à devenir la règle. Cette situation implique d’être accompagné pour limiter les coûts liés à la transmission.

Une réforme structurelle permettrait de clarifier la destination de cet impôt « redistributif ». Mais elle supposerait d’accepter un débat de fond sur les objectifs assignés à la fiscalité successorale : instrument de redistribution, outil d’incitation économique ou simple mécanisme de financement public.

À défaut de cette réflexion globale, nous continuerons de coller des pansements sur une jambe de bois, perpétuant un système toujours aussi perçu par les contribuables.

La seule chose dont nous sommes sûrs c’est qu’une transmission doit s’anticiper afin d’en minorer le coût. Et plus encore, il s’agit de mettre en œuvre une stratégie de développement du patrimoine sur plusieurs générations.

Notre équipe reste à votre disposition pour vous accompagner dans l’optimisation de vos stratégies de transmission patrimoniale, en tenant compte de la complexité actuelle de la fiscalité et de vos objectifs familiaux spécifiques.

 

Sources (sélection)

  • Cour des comptesLes droits de succession (communication à la commission des finances, 25/09/2024) — parts imposées (24 % en ligne directe / 60 % en ligne indirecte), perception/surestimation, rappel des mesures 2011-2012. Cour des comptes
  • Service-Public.frÉvaluation de la succession et calcul des droits — abattements et barèmes en vigueur. Service Public
  • Service-Public.frFrais bancaires lors d’une succession : les règles évoluent — plafond 850 €, décret du 14/08/2025, entrée en vigueur 13/11/2025. Service Public
  • Vie-publique.frFrais bancaires de succession — loi promulguée le 13/05/2025. vie-publique.fr
  • EFL – Éditions Francis Lefebvre, note sur la 2e LFR 2012 — abaissement à 100 000 €, rappel fiscal à 15 ans (contexte juridique). efl.fr
  • INSEEInformations rapides / Indices Notaires-INSEE — dynamique des prix des logements (référence sans pourcentage figé). Insee

 

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